TV et interactivité : alliance impossible ?

Le petit monde encore très virtuel de la TV interactive (qu’on pourrait définir par : tout ce qui permet d’utiliser la TV en plus -ou à côté- de l’affichage des émissions broadcastées “classiquement”) était en pleine effervescence ces derniers temps :

  • l’annonce officielle d’une future “GoogleTV“, un projet réunissant des acteurs du software et du hardware,
  • la rumeur d’une AppleTV 2.0,
  • et enfin un démenti cinglant de Steve Jobs, qui estime, enfin qui déclare, que le marché est impossible à conquérir, du fait de sa trop grande complexité.

Que penser de tout ça ?

Je vais essayer ici d’utiliser le “spectre” de GoogleTV pour tenter de décoder un peu les difficultés, besoins, pistes de cette télé interactive qui n’en finit plus d’arriver…

Que promet Google TV ? En quoi est ce nouveau ?

La notion même de Set Top Box existe depuis déjà assez longtemps : un boitier à connecter sur sa TV, ça se voit depuis que la prise Péritel existe ; l’arrivée du numérique a en revanche bien sûr fait beaucoup évoluer les choses, mais on s’aperçoit vite que beaucoup reste à faire.

Si l’on prend la “box” la plus aboutie en France, la FreeBox HD, l’interactivité est pour l’instant limitée (quelques jeux, en fait, et une ouverture très “geek” au sens bidouilleur vers un media center).

Ce qu’annonce GoogleTV, c’est en fait l’ouverture par l’utilisation d’un système d’exploitation connu et reconnu : Android. Le fait de s’appuyer sur un “standard du marché” (même s’il est fait maison, en l’occurrence), permet énormément d’ouverture : les développeurs sont déjà là, et la perspective d’installer une application aussi simplement sur son téléviseur que sur son téléphone (avec le rituel AppStore..) est vraiment un énorme “plus”. On s’imagine déjà avec toute une palette d’outils, du client Twitter jusqu’aux incontournables jeux…

Première interrogation : le hardware

Android a énormément d’atouts, mais, si vous discutez avec un développeur un minimum objectif (sisi, il y en a !), l’hétérogénéité du hardware pose rapidement problème : d’un téléphone à l’autre, on n’a pas la même résolution d’écran, pas les mêmes boutons, pas la même puissance CPU, etc… Qu’en sera t’il avec le hardware ? Pourra t’on s’appuyer sur une configuration minimale suffisante pour pouvoir développer des jeux de bonne qualité ?

Le projet GoogleTV inclut des partenariats avec divers fabricants matériels :

  • Logitech devrait fournir le Set Top Box,
  • Sony prévoirait d’inclure le hardware directement dans certains téléviseurs,
  • et Intel est le fournisseur officiel du CPU, avec ses Atom qu’on retrouve couramment dans de nombreux Netbook.

Que se passera t’il lorsque ce petit cercle de partenaires va grandir ? C’est pour l’instant une inconnue.

Deuxième interrogation : le périphérique d’entrée

Il ne vous aura pas échappé qu’Android fonctionne sur un téléphone tactile. Les interfaces suivent donc le chemin tracé par l’iPhone : pas de mouseover, des boutons adaptés à la taille d’un doigt, la possibilité de “drag’n’dropper” un élément, etc… Comment un tel schéma sera reproductible sur l’écran d’un téléviseur ? Je vois deux problèmes à résoudre :

  • Le pointage. Jusqu’ici, la “moins pire” des interfaces intuitives est très probablement la Wiimote, qui est loin d’apporter la précision d’un doigt.
  • Le clavier. GoogleTV est annoncé avec une version adaptée de Google Chrome. Même si l’on fera un usage très passif du web devant son téléviseur, il faudra forcément, à un moment ou à un autre, taper une URL ou remplir un petit formulaire. Devra t’on revenir à la solution du clavier sans fil posé sur les genoux ? Pourquoi pas…

Je ne préfère pas penser à une alternative de type “télécommande” classique (celle de la FreeBox est sans doute un modèle du genre…enfin plutôt de ce qu’il ne faut pas faire : je l’ai depuis des années, je suis plutôt d’un profil technique et geek, et je ne sais pas à quoi correspondent la moitié des boutons qu’elle propose).

A l’opposé, les télécommandes très épurées proposées par Apple peuvent suffire… sur des usages très basiques, de type “sélection d’un film”, comme le propose l’AppleTV actuel : sur cette nouvelle génération, il faudra être plus ambitieux.

Troisième interrogation : l’intégration du flux TV

J’aurai pu commencer par là car c’est le point le plus problématique : si la GoogleTV se positionne “à côté” de sa chaîne numérique TV actuelle, elle n’aura aucun intérêt. Si c’est pour jouer ou lancer quelques gadgets, les consoles de jeux sont déjà là, présentes sous la TV, et bénéficient d’interfaces utilisateurs conçues depuis des années pour un affichage sur un téléviseur.

Pour que la GoogleTV soit pertinente, elle doit savoir exploiter les chaînes numériques que diffuse sa TV. Jobs le disait dans sa récente interview au D8 : plus personne ne veut d’une multitude de télécommandes et de boitiers. Il faut un “tout en un”, en débarquant sur un marché ou beaucoup se sont déjà cassés les dents…et se sont dispersés.

Prendre en compte le broadcast TV, c’est depuis des années le métier de Tivo, le boîtier qui a su percer aux Etats-Unis et qui continue aujourd’hui à bénéficier d’un succès (relatif). Or, il n’existe pas un boîtier Tivo, mais plusieurs, et chacun devant être configuré en fonction de sa solution de réception : câble ? satellite ? quel fournisseur ? Bref, avant même de commencer, on doit passer par un casse tête. Pas très mainstream, tout ça..

Quatrième interrogation : le marché

Dans les arguments évoqués par Steve Jobs, celui de la “gratuité” de ces devices : les consommateurs se sont trop habitués à avoir des terminaux gratuits, ou avec un faible prix de location “indolore”, car inclus dans ses frais d’abonnement. Selon Jobs (qui est, pour ceux qui ont passé ces 30 dernières années sur la planète mars, avant tout un vendeur de matériel), cette voie empêche toute innovation, car aucun acteur n’ira lancer un produit “gratuitement”.

Et, effectivement, on peut imaginer qu’un Apple n’ira se lancer que s’il trouve un moyen de “vendre” son produit (d’où les rumeurs, plutôt pertinentes finalement, d’un vrai téléviseur Apple, où le hardware de la partie interactive est vendu de manière “indolore”, puisqu’inclut dans son téléviseur au même titre qu’un tuner).

Au delà du problème du prix de vente, se pose celui des acteurs existants. Si la télé interactive est encore très immature, elle existe déjà, et de nombreux acteurs y ont investi déjà beaucoup d’argent. Comment réagirait un Free, par exemple, si Google va les voir en proposant de faire un “RAZ” de leur FreeBox HD et de s’appuyer sur des solutions Android ? Comment accepter de jeter à la poubelle des millions d’euros d’investissement, sans parler des terminaux déjà en place, pour repartir sur une solution plus cohérente… mais complètement différente ?

C’est finalement ce qui s’est passé sur le marché des téléphones avec l’iPhone : en quelques mois, Apple, puis d’autres, ont su complètement faire migrer le marché vers des plateformes nouvelles, avec de nouvelles habitudes. Mais le consommateur est depuis déjà quelques temps habitué à changer son téléphone fréquemment.

Sur sa TV, les choses sont très différentes ; il faudra savoir sortir la “killer app” qui fera migrer à la fois les opérateurs et les utilisateurs. Pas simple du tout…