On voit de plus en plus passer des allusions à ce fameux “Minitel 2.0”. L’origine de l’expression revient sans contexte à Benjamin Bayart, dont la conférence aux RMLL 2007 avait fait date.
Le propos de Benjamin était un rappel à l’ordre, musclé et engagé, sur ce qu’est Internet : un réseau sans noeud central, où chacun est un membre actif : pas seulement en mode “web 2.0” comme on en parle aujourd’hui, mais en tant qu’acteur technique : chaque ordinateur est potentiellement un serveur, avec sa propre adresse IP. Une conférence a connaître !
Les choses ont beaucoup évolué depuis les débuts du Net. Pour prendre un exemple simple, en 1995, lorsque j’avais fait mes premières armes sur le réseau, la notion d’hébergement de serveur était très floue : si vous voulez un espace où stocker vos données et pages HTML, il “suffisait” d’installer un Apache sur sa machine locale (Linux existait déjà 😉 ), et de laisser son ordinateur allumé en permanence. Jouable si vous étiez connecté à un réseau délivrant une adresse IP fixe par poste (c’était fréquent à l’époque), beaucoup moins si vous étiez derrière un modem 33Kbps. D’où le besoin d’avoir des services d’hébergement, avec des serveurs “centraux” gérés par des organismes plus ou moins commerciaux.
Idem pour les mails. Benjamin rappelle que dans les temps anciens, une adresse mail, c’était “le login de l’utilisateur sur son poste”@”le nom de sa machine”. Et chacun hébergeait son serveur de mails.
La pratique d’Internet a bien changé aujourd’hui, pour du beaucoup mieux (qui aurait envie aujourd’hui de se prendre la tête à gérer son propre serveur de mails ?) mais avec beaucoup de dérives.
Mais les dérives sont également du côté des journalistes et bloggeurs : de la même manière qu’on a décliné le terme “web 2.0” à toutes les sauces, on parle aujourd’hui de “Minitel 2.0” pour tout et n’importe quoi. D’où la question : en fait, ou en est la “minitellisation” de notre Web ?
C’est quoi un minitel 2.0 ?
Si l’on se souvient du modèle technique et économique du Minitel, on peut lister les critères suivants :
- Terminal fermé techniquement, diffusé gratuitement ou à faible coût, technologies propriétaires (Vidéotext) et matériel standardisé (Minitel)
- Modèle économique “à la durée” (coût de connexion par minute avec appel surtaxé)
- Serveurs centralisés et passant par un point d’entrée unique (Télétel)
Avec cette “grille de lecture”, amusons nous maintenant à relire les offres de certains des acteurs les plus marquants du web actuel
Google : l’omniprésent
Google est bien entendu le premier des acteurs du web qui vient à l’esprit lorsqu’on parle de “Minitel 2.0” : omniprésent, intrusif, Google est au centre de beaucoup de polémiques.
Passons le numéro 1 du Web sur notre grille d’évaluation minitelesque :
- Terminal : Google prépare son propre terminal, basé sur Chrome OS. Ce sera vraisemblablement un Netbook. Du côté des mobiles, Android a déjà fait sa place depuis ces deux dernières années. Chrome OS et Android sont des projets ouverts en apparence, mêlant OpenSource et briques propriétaires. Google Chrome, le navigateur, est en particulier au coeur des préoccupations. Du côté des technologies, Google privilégie les standards tels que HTML5, tout en laissant la porte ouverte à des acteurs tels qu’Adobe Flash. Rappelons toutefois que ces pistes sont (à l’exception d’Android) pour l’instant essentiellement des “effets d’annonce” : ChromeOS n’est pas encore disponible publiquement.
- Le modèle économique de Google est bien plus subtil que le paiement à la minute du Minitel : Google profite de son omniprésence pour imposer des publicités un peu partout, et surtout pour revendre un savoir faire de “ciblage” très fin. En d’autres termes : derrière la gratuité totale, un flicage de plus en plus présent.
- Peut on dire que Google propose un point d’entrée unique ? Non en principe, puisque par définition Internet n’est pas centralisé. Mais l’omniprésence du géant de Redmond est telle qu’on peut aujourd’hui se poser légitimement la question…
Apple iPad : le verrouillé
On pourrait étudier le “cas” Apple dans sa globalité (il y aurait beaucoup à dire, et beaucoup a déjà été dit sur ce blog), mais je vais ici me consacrer sur l’iPad, symbole le plus extrême du terminal fermé “à la Apple” :
- L’iPad est “le” terminal par excellence, au sens où tout a été conçu pour être le média idéal de consommation de produits culturels et de contenus multimédias : musiques, vidéos, photos, livres, jeux et applications, l’iPad rassemble tous les supports tout en apportant un discours qui rappelle étrangement le minitel : s’introduire dans le quotidien de M. tout le monde, en faisant abstraction de toute notion technique et en nivelant le “ticket d’entrée” de niveau de connaissance. Comme Google (mais en pire), les technologies employées sont ouvertes “dans le discours” (voir la déclaration récente du porte parole d’Apple) et terriblement fermées dans les faits (plateforme de développement XCode obligatoire, validation par l’AppStore incontournable)
- On l’a vu avec les chiffres dévoilés par Apple récemment : le modèle économique de l’iPad ne se fait pas tant sur la vente du terminal, que sur l’écosystème “AppStore” : proposer à un tarif (relativement…) abordable un terminal de consommation (pour rappel, le Minitel était gratuit à l’époque, puis a été fourni pour un tarif de location très abordable) et se rémunérer sur l’usage de l’appareil (la vente d’application et de médias pour Apple, la consommation à la minute pour le Minitel)
- Les PTT des années 80 pouvaient fermer et réouvrir les accès aux “serveurs minitel” à leur guise, Apple en fait de même avec la validation des AppStore. La centralisation des validations d’application est un mode de fonctionnement encore plus violent que le principe du “point d’entrée de connexion unique”.
En résumé : l’iPad, même si cela n’enlève en rien ses grandes qualités, est aujourd’hui vraisemblablement l’exemple se rapprochant le plus du Minitel.
Microsoft : l’acteur historique
Difficile de faire un tel “état des lieux” sans passer par Microsoft, l’éternel acteur principal de la micro-informatique. L’ex-société de Bill Gates ne traîne pas forcément une image très reluisante. Voyons ce que cela donne au travers du prisme “Minitel 2.0” :
- Le “terminal” façon Microsoft a, historiquement, des apparences multiples : Windows est conçu pour fonctionner sur n’importe quel PC (ce qui n’est pas le moindre de ses soucis, avec tous les problèmes de drivers qui s’ensuivent !).Difficile de trouver plus ouvert…enfin, si l’on fait abstraction du système intégralement propriétaire, et des terminaux “spécialisés” de Microsoft qui sont eux beaucoup plus fermés (XBox360, Windows Mobile). Du côté des technologies soft, MS tente de rattraper son retard vis à vis de HTML5 (c’est bien), cherche sans grand succès à imposer Silverlight (ça ne manque pas trop…) et reste finalement relativement “réglo”, surtout en comparaison avec les acteurs précédemment cités. La période où MSN Messenger était incontournable est déjà bien loin !
- Un grand classique pour le modèle économique : la vente de licences logicielles. Simplissime, classique, en opposition totale aux théories et concepts à la mode (freemium and co), et pourtant… ça marche. Les quelques tentatives de services online de Microsoft n’ont jamais vraiment décollé. Et pourtant, ce n’est pas l’envie qui leur en manque : dès 1994, Microsoft voulait, avec le projet “Microsoft Network”, remplacer Internet par une sorte de Télétel géant. Loupé !
- Même problème que pour Google : en soit, rien n’oblige à passer par Windows. Et pourtant, l’immense majorité des postes de travail en sont dotés. Quand on est devenu le “frigidaire” des systèmes d’exploitations, difficile de changer la donne… A noter toutefois la quasi totale neutralité de Microsoft vis à vis du Web : à part quelques soutiens légitimes au moteur de recherche Bing, Microsoft reste discret dès lors que l’on est online.
Article à suivre avec d’autres sociétés passées au crible du Minitel 2.0…